Pourquoi la mouvance extrémiste de droite vivote

24heures.

Les membres des groupuscules de droite dure à Genève sont peu nombreux, mais font des émules sur les réseaux sociaux.

Que révèle le parcours du Genevois coordinateur du bateau antimigrants qui choque le monde entier? Jean-David Cattin, pourfendeur de l’immigration massive, qui a lui-même émigré à Nice depuis le début l’année, avait cofondé le groupe Jeunesse identitaire de Genève. Actif durant une dizaine d’années, jusqu’en 2014, il a fini par lâcher les siens. Le signe d’un essoufflement des groupuscules de droite dure au bout du lac?

«J’ai fait mes armes à Genève, mais mon engagement a pris une autre dimension. La Suisse romande, c’est petit. Mon projet est en Europe», explique Jean-David Cattin, 32 ans, qui se présente comme responsable de la cellule de communication de Defend Europe, opposé au sauvetage de migrants en Méditerranée, et l’un des directeurs nationaux des identitaires en France. Quel poids les identitaires ont-ils dans la Cité de Calvin? «Le militantisme s’est bien ralenti à Genève, mais il existe toujours un petit groupe, Génération identitaire Genève, d’une dizaine de personnes.» Comment celui que plusieurs considèrent comme un ancien leader explique-t-il cet affaiblissement? «C’est un phénomène de génération. Il faut une locomotive.»

Groupes pas structurés

Qu’en est-il des autres groupuscules de la mouvance d’extrême droite? Les nationalistes de Résistance helvétique, qui prônent la dissolution des partis politiques, surtout actifs en Valais et dans le canton de Vaud, comptent une douzaine de membres à Genève. Egalité et réconciliation, fondé en France par Alain Soral, s’essouffle. Genève non conforme et les Jeunesses genevoises ont carrément disparu. Le militantisme se reporte sur les réseaux sociaux, notamment avec Kalvingrad Patriote et, depuis 2015, s’exprime à travers le site de réinformation La Pravda. Cette scène genevoise réunit ainsi quelques dizaines de membres qui se connaissent, se côtoient parfois, s’agitent autour de guerres de clocher et d’ego. A l’heure actuelle, ces groupes n’ont pas de leader et ne sont pas structurés.

Mais ils restent actifs. Distributions de tracts antijuifs, antimigrants, collage d’affiches et conférences tenues secrètes comptent parmi des actions recensées entre 2015 et 2016 par leurs pires ennemis d’extrême gauche, sur le site Internet Renversé. «Nous observons depuis deux ans une baisse des activités et des agressions néofascistes à Genève, mais le problème s’est déplacé à la frontière et aux cantons voisins», pouvait-on lire sur site l’an passé. Les actions violentes, elles, restent extrêmement rares.

Les nationalistes ont surtout fait parler d’eux au mois de novembre 2016 en invitant à Genève Alain Soral. Cette conférence, finalement annulée mais diffusée sur Internet, a provoqué une forte protestation et mobilisé une centaine de personnes dans la rue. Dernière polémique en date: la pétition lancée en ligne contre la fête du 1er Août en ville de Genève, partagée avec le Bénin. Un mystérieux groupe aux propos racistes a obtenu près de 500 signatures.

«Signaux au rouge»

Si la scène genevoise semble calme actuellement par rapport à d’autres périodes, «c’est sans doute grâce à la diversité multiculturelle du canton, à son environnement urbain, au fort activisme de l’extrême gauche et de la gauche», relève Yann Boggio, secrétaire général de la Fondation genevoise pour l’animation socioculturelle. Et pas seulement. «Aujourd’hui, les populistes présents dans des partis comme l’UDC et le MCG vont sur leur terrain idéologique et diminuent leur capacité de mobilisation», analyse Vincent Joris, spécialiste des idéologies extrémistes. Il estime pourtant que le milieu genevois pourrait se réveiller. «L’opération maritime Defend Europe représente une nouvelle dimension de l’activisme d’extrême droite. On ne peut pas exclure qu’elle fasse des émules ici, mais à une petite échelle.»

Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation, ne cache pas son inquiétude, au-delà du cas genevois: «Nous constatons un développement des mouvements d’extrême droite en Suisse alémanique et en Suisse romande, surtout dans les cantons de Vaud et du Valais. Il y a de nouveaux militants. Ils ont une capacité de violence réelle.» Il fait référence aux camps d’été, qui existent depuis plusieurs années, pour enseigner la doctrine et entraîner au combat. Et de relever: «Le grand problème, c’est la banalisation des propos racistes. L’extrême droite a fait son chemin. Elle est décomplexée, se veut présentable et utilise plus que jamais une stratégie marketing adaptée pour séduire. Et cela attire beaucoup plus de sympathisants qu’auparavant. Tous les signaux sont au rouge. Il est temps de se réveiller.»


Déclencheurs de violence

Il faut se méfier de l’eau qui dort. C’est en substance le message du Service de renseignement de la confédération (SRC). Le nombre d’événements liés à l’extrémisme de droite régresse depuis huit ans en Suisse. De 76 incidents en 2008, on est passé à 23 en 2016. Il s’agit de réunions, manifestations, distributions de tracts, conférences, commémorations, dégâts à la propriété ou attaques violentes. Le SRC, chargé de la prévention des actes dans le domaine de l’extrémisme violent, exclut les déclarations extrémistes à caractère purement politique ou idéologique. «Alors que les événements liés à l’extrémisme de gauche restent élevés, ceux liés à l’extrémisme de droite sont plutôt rares, note la porte-parole du SRC, Carolina Bohren. Mais ces derniers, même isolés, retiennent l’attention.» Comme le concert organisé dans le plus grand secret dans le canton de Saint-Gall en 2016, qui a rassemblé 5000 spectateurs, venus surtout d’Allemagne.

Les perspectives présentées par le SRC sont toutefois pessimistes. «Le potentiel de violence reste réel et la situation pourrait s’envenimer rapidement.» Trois phénomènes jouent aussi un rôle important, rappelle Carolina Bohren: «L’augmentation des flux migratoires à destination de la Suisse, des attaques terroristes commises dans notre pays pour des motifs djihadistes ou une évolution dramatique par exemple dans les régions kurdes, en particulier en Turquie et en Syrie, seraient à même de susciter des protestations, des attentats ou des attaques violents dans les milieux extrémistes.» S.R.