Le Temps: Le porte-parole du groupe anti-islam Pegida Suisse espère ratisser large et se défend de tout extrémisme. Il cultivait pourtant des affinités avec le milieu néonazi
Depuis qu’Ignaz Bearth incarne Pegida Suisse, la filiale helvétique du mouvement des «Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident» né à Dresde, il se dit menacé de mort. «Je m’y attendais, affirme-t-il. C’est pourquoi j’ai décidé de monter au front seul.» C’est ainsi que le porte-parole de Pegida Suisse justifie le silence sur les fondateurs du groupe, pour l’instant anonymes. Ils finiront par se montrer, pourtant, s’ils maintiennent leur projet de manifester, le 16 février, dans une ville – encore inconnue.
Rester dans l’ombre tient aussi lieu de stratégie pour ce mouvement, qui espère ratisser large en maintenant le flou sur son identité et ses motivations. La branche suisse de Pegida, créée officiellement le 9 février, au troisième jour des attentats terroristes de Paris, ne compte que six à huit membres, «de différents horizons politiques», dont un UDC, affirme Ignaz Bearth. Lui-même a été choisi comme porte-parole parce qu’il est déjà actif sur la scène politique.
Dans un article récent, le site Vice.com remet en question l’apparente notoriété du porte-parole: son profil Facebook recueille plus de 32 000 «like», bien plus que tout autre politicien suisse. Or, 43% de ces fans proviennent d’Inde et 14% de Serbie. Soit le Saint-Gallois s’est fait des milliers d’amis dans ces pays, soit il a acheté des clics pour faire grimper sa cote de popularité. Seul un millier de ses adeptes vient de Suisse.
Pas de quoi décourager Ignaz Bearth, qui compte bien capitaliser sur l’inquiétude suscitée par les attentats de Paris pour faire passer son message contre l’immigration de musulmans en Suisse. «Au début, les sympathisants Pegida n’étaient que quelques centaines à Dresde. Puis ils sont descendus par milliers. Ici, nous avons un énorme potentiel», affirme le porte-parole du mouvement. Il en veut pour preuve le résultat de la votation sur l’initiative contre la construction de minarets, approuvée par 57,5% des Suisses en 2009.
Ce n’est pas la première fois que l’homme d’Utzwil, 29 ans, tente une percée sur la scène politique. Il se définit comme un «fondamentaliste de la démocratie directe» et nie toute appartenance à l’extrême droite. Il a pourtant fréquenté les milieux néonazis. L’organisation antifasciste Antifa Berne a notamment retrouvé des traces de sa participation, en 2008, à un rassemblement à Budapest, le «Day of Honour», organisé par l’extrême droite en hommage aux soldats allemands et hongrois morts sur le front en 1945.
Ignaz Bearth a aussi été membre de la formation d’extrême droite PSN (Parti des Suisses nationalistes) avant de rejoindre l’UDC saint-galloise pour quatre ans. Jusqu’à ce qu’éclate un conflit avec son président, qui lui reprochait d’avoir utilisé le logo du parti pour servir ses propres intérêts. Il avait invité, sous la bannière UDC, le parti de la droite nationaliste populaire autrichienne, le Freiheitliche Partei Österreichs (FPÖ), présidé par Heinz-Christian Strache, à former un «cercle amical Suisse-Autriche». Quittant le parti avec fracas, il crée la même année sa propre formation, le Direktdemokratische Partei Schweiz (DPS), qui se positionne, pêle-mêle, contre l’adhésion à l’UE, contre «l’islamisation de la Suisse», pour les énergies renouvelables ou la liberté d’opinion.
Ignaz Bearth espère désormais rallier les membres à la droite de l’UDC à son nouveau mouvement identitaire. Or, plusieurs ténors parmi les plus durs du parti ont déjà pris leurs distances. Le conseiller national zurichois UDC Ulrich Schlüer, membre du comité d’Egerkingen à l’origine du vote anti-minarets, juge peu utile d’importer Pegida en Suisse: «Contrairement à l’Allemagne, nous possédons les outils de la démocratie directe pour répondre aux préoccupations du peuple», dit-il au téléphone. D’ailleurs, le comité d’Egerkingen s’apprête à lancer une initiative en vue d’interdire la burqa dans l’espace public.
L’UDC n’a aucun intérêt à se lier avec des inconnus associés à l’extrême droite, juge le politologue Georg Lutz: «Le parti occupe déjà le terrain et se présente comme principal rempart contre l’islamisation.» Sans compter qu’une telle association passerait mal, en pleine année électorale, alors que l’UDC cherche à créer des alliances avec le centre. «Pegida pourrait profiter du succès des rassemblements de Dresde pour un jour. Mais je doute qu’il ne soit à même de mobiliser à long terme», en déduit le spécialiste des partis politiques.