Tribune de Genève: Le polémiste a donné les premières représentations de son spectacle hier. Ambiance devant le théâtre
On va voir Dieudonné comme on va à la messe. En silence. Hier en début de soirée devant le Théâtre de Marens, à Nyon, le polémiste français donnait la première représentation de son spectacleAsu Zoa(lire ci-contre). Avant l’ouverture des portes, les 450 spectateurs – où il fallait chercher les femmes – se sont amassés sans vacarme devant l’entrée du théâtre. Les nombreux policiers – en uniforme ou en civil – ont assisté à cette lente procession vers les portes, bien loin de l’agitation imaginée. La Municipalité, elle, n’a pas fait le déplacement – Conseil communal oblige.
Ananas provocateur
A 18 h 15, près de deux heures avant le début du spectacle, quatre jeunes Genevois sont déjà pressés contre la porte d’entrée du théâtre: «Ça fait longtemps qu’on suit Dieudonné. On vient juste voir un spectacle. Nous ne sommes ni antisémites ni antireligion. »
A quelques pas de là, une note discordante s’élève dans la foule. Un jeune d’une vingtaine d’années tente de haranguer le public. Une bouteille de champagne bon marché dans une main, un ananas dans l’autre(ndlr: en référence à une chanson de Dieudonné, «Shoah Nanas»), il entonne un air de son idole: «François, la sens-tu glisser, la quenelle dans ton c…» Quelques rires lui répondent. Sans plus. «Ce type me désole. Il ne représente pas le public de Dieudonné», regrette un employé de l’Etat. «C’est assez drôle de se dire que c’est un facho qui vient voir un Black», ajoute l’un de ses amis, fan de la première heure de l’humoriste controversé, qui ont acheté leur billet cet été déjà.
Parmi un public composé en majorité de 20 à 40 ans, deux retraités patientent emmitouflés dans leur manteau. «La liberté d’expression est écornée», lâche Jean-Pierre Ravay, président de l’Association vaudoise de la libre pensée et ancien municipal de Grens, un petit village agricole voisin de Nyon. «Le battage médiatique nous a titillés. Nous ne connaissions pas Dieudonné il y a encore un mois. Ses sketches sont géniaux», renchérit Jean-Robert Bettens, ancien syndic de Grens. Devant le stand de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (Cicad), les représentants de la communauté juive tentent d’éveiller les consciences sur le message du polémiste, qu’ils jugent dangereux. «Je suis inquiet face au phénomène Dieudonné, avoue un Genevois d’un certain âge. Je suis venu ici par solidarité car j’en ai marre de me faire insulter par ce drôle d’oiseau. »
Public conquis
A 21 h 30, le public — conquis d’avance – semble comblé. «Il a retrouvé son mordant, s’exclame un inconditionnel. J’étais un peu tendu au début, mais j’ai bien rigolé. » Encore dans l’euphorie, plusieurs jeunes hommes se saluent d’une quenelle, devant la file de spectateurs sagement alignés.
Asu Zoa: plus revanchard que drôle
Sur la scène nyonnaise, il y a comme décor un bout de ce fameux «mur» qui donnait son titre au spectacle honni. Surgissant de derrière les gravats dans une standing ovation monstre, Dieudonné, en maçon (surtout pas franc!), s’en va durant 80 minutes prolonger ce mur de la scène vers le public, bâtissant son «nouveau» spectacle,Asu Zoa,comme une foire aux antagonismes, une tranchée entre «eux» et «moi», ou plutôt «nous», tant le comédien provoque la vénération de son public, tout de bouches bées et de quenelles déployées. Au registre de la victimisation, la journée écoulée a offert à «Dieudo» un adoubement de poids: le ministre anglais de l’Intérieur lui interdit l’entrée du territoire britannique! Il ne pourra ainsi pas aller saluer son copain Nicolas Anelka, Che Guevara footballistique qui combat le système en faisant des pubs pour McDonald’s mais aussi des quenelles quand il marque des buts. C’est du cynisme, mais les médias sont fourbes, c’est Dieudonné qui le dit.
En fait, si l’humoriste a pris soin d’expurger le livret d’Asu Zoades passages pouvant être poursuivis pour incitation à l’antisémitisme (fini la référence aux chambres à gaz concernant le journaliste Patrick Cohen et autres «faire de la savonnette avec le gratin du show-biz»), il conserve son pénible glossaire et sa grille de lecture: Seconde Guerre mondiale, procès de Nuremberg, traite des Noirs, néonazis, suprématismes noirs, préfets et juges indignes… «Je laisse ma parole à mes adversaires», déclare-t-il en incarnant le patron de la Licra, qui reçoit dans ses bureaux un Manuel Valls couché, traité de «trou du cul». Ce dernier n’a pas tort quand il dénonce un Dieudonné ayant abandonné le terrain de l’humour pour celui des meetings politiques. Dommage! Car les deux sketchs «consistants» du spectacle (celui, par exemple, racontant la virée de la famille M’bala M’bala au dernier jour du monde) rappellent combien le talent d’évocation de Dieudonné vaut mieux que cet entre-soi revanchard, cassant de «l’élite» dans une ambiance de bunker assiégé. François Barras