Le Temps.
Porte-parole du groupuscule Résistance helvétique, qui ambitionne de conquérir Genève, David Rouiller a un parcours singulier. Fils d’un ancien juge fédéral, il a combattu pour les Kurdes et oscillé entre extrême gauche et extrême droite, avant de retrouver cette dernière.
Qu’on nous permette de commencer par la fin. Le 13 janvier, un obscur mouvement d’extrême droite actif en Valais et dans le canton de Vaud, Résistance helvétique, annonce l’inauguration d’un local à Genève, dont l’adresse est tenue secrète. Aussitôt, les milieux antifascistes se mobilisent pour une réplique cinglante. Mais la guerre n’aura pas lieu, et pour cause: le local n’existe pas. «Nous l’avions loué pour un jour, à titre symbolique, afin d’évaluer la réaction dans le public. Le résultat est positif, puisque je dois rencontrer six postulants pour des entretiens.»
L’homme s’exprime à mots mesurés, avec des silences comme des césures. Qui est donc David Rouiller? Tout de noir vêtu, il avance en embuscade, comme le groupuscule dont il est porte-parole. Il faut dire que ce Valaisan est rompu au combat, au sens propre: avant d’embrasser la mouvance identitaire, il fut, de 2001 à 2012, soldat de la cause kurde, au service du PKK.
Proche d’Ecône à 16 ans
Une trajectoire heurtée et peu banale, qui mène David à devenir Tolhildan (nom de guerre signifiant «Vengeance pour les martyrs»), les armes à la main. Pourtant, rien ne prédestinait cet homme à un parcours aussi contrarié.
Né en 1972, David est le fils de Claude Rouiller, ancien président du Tribunal fédéral. Sur ses liens familiaux, il ne souhaite pas s’étendre, déclarant seulement avoir reçu une éducation «assez autoritaire». Si sa scolarité, entre Saint-Maurice et Pully, se déroule sans problème, David est attiré par l’extrême droite. A 16 ans, il collabore à un périodique nationaliste, Croix et Bannière, et fréquente les intégristes d’Ecône.
Une année plus tard, il flirte avec le mouvement nationaliste-révolutionnaire 3e Voie: «Je pensais à une refondation idéologique. L’extrême droite et l’extrême gauche se retrouvaient dans un front uni contre l’impérialisme et le libéralisme», explique-t-il. Puis le garçon bascule dans l’extrême gauche, se mobilise pour la cause palestinienne et les luttes du tiers-monde, rencontre même à Paris les Nouvelles Brigades rouges, sans garder le contact. Il entreprend des études de lettres à l’Université de Lausanne et aligne les boulots temporaires.
Mais la lassitude guette. «Les mouvements d’extrême gauche ne m’apportaient plus rien, même si je gardais un intérêt pour la lutte palestinienne», raconte David. C’est alors qu’il rencontre les Kurdes. Nouveau souffle, nouvel horizon. Il apprend le kurde et le turc. Puis un jour à Rome, lors d’une manifestation en soutien au leader Abdullah Ocalan, c’est la révélation: «Tout à coup, un homme dont les habits étaient mouillés s’est détaché de la foule. Il a crié «Vive le président Apo!» et a pris feu.»
Derrière son récit sourd une exaltation encore vive: «N’importe qui à ma place serait arrivé à la même conclusion: on ne s’immole pas sans raison!» D’où l’on déduit que le sacrifice, à ses yeux, prouve la noblesse de la cause. Avec des accents de lyrisme: «Le feu qui brûlait en moi à 16 ans, je l’ai retrouvé à Rome. Et ce flambeau m’a conduit au Kurdistan. La vie ne vaut pas la peine d’être vécue si ce n’est pour la brûler au service d’une grande cause.»
«Le féminisme fanatique du PKK»
Cette grande cause jette sa mère dans une recherche éperdue pour localiser son fils évaporé au Kurdistan. Elle finit par le retrouver, un film est même consacré à David-Tolhildan, en 2006. Parti pour ne pas revenir, il rentre pourtant, rongé par la lassitude, à nouveau. Et il complète: «J’en avais marre aussi du féminisme fanatique au sein du PKK. Une combattante pouvait même se permettre de refuser un ordre d’un commandant de bataillon.»
S’ensuit une longue digression historique sur les racines du phénomène, étudié autant qu’éprouvé. A son retour en Suisse, David est condamné à la réclusion avec sursis pour avoir servi dans une armée étrangère, selon le code pénal militaire. Fin de partie pour le militant armé.
Et le voilà renouant avec ses anciennes amours d’extrême droite, embrassant la mouvance identitaire, sans que l’on doive y voir une incohérence: «Le nationalisme de libération mis en avant par les Kurdes mène à cette quête d’identité d’une communauté, explique Damir Skenderovic, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Fribourg. C’est le combat identitaire pour un collectif national et exclusif qui permet d’expliquer le saut de l’une à l’autre.»
Fasciné par les idéologies dures et les figures illustres – Napoléon revient souvent dans sa bouche –, David Rouiller fustige, d’un même élan, «la décadence de la société, la gauche multiculturaliste, l’ultralibéralisme et l’oligarchie financière». Le remède aux premières? «Stopper toute immigration extra-européenne, musulmane en particulier.» Un credo qui ressemble fort au suprémacisme blanc. Ce à quoi il répond par une pirouette: «Peut-on parler de races? On ne peut pas et on ne veut pas, à cause du poids de l’éducation.»
Réseau élaboré et littéraire
C’est à la marge que s’active Résistance helvétique, forte d’une soixantaine de membres. «Résistance helvétique est un groupuscule d’extrême droite, éclectique, entre pensée xénophobe et valeurs anciennes et chrétiennes, avec un réseau élaboré tourné vers la France, explique Damir Skenderovic. Il se donne un air intellectualisant, avec des conférenciers éloquents, aux propos sophistiqués et pleins de références littéraires. C’est typique de ce genre de mouvement en Suisse romande.»
Une jonglerie intellectuelle à laquelle se prête aussi David Rouiller, ponctuant son discours de citations empruntées à ses auteurs de prédilection, comme l’essayiste d’extrême droite Dominique Venner, le nationaliste européen et révolutionnaire Jean Thiriart, le catholique conservateur et opposant au radicalisme Gonzague de Reynold. Et le national-socialisme? «S’il est un phénomène historique, il a créé des élites. Et je crois aux élites.»
Résistance helvétique investit aussi la rue avec un militantisme provocateur, «afin d’éveiller les consciences». Par exemple, une action où quelques hommes brandissent une banderole «stop invasion», au-dessus d’un pont autoroutier sur les hauts de Lausanne, ou encore devant la prison de Sion. Mais pour le professeur, c’est surtout sur la Toile que se joue cette propagande: «Et on ne sait pas combien de jeunes y sont sensibles.»
David Rouiller en est convaincu: la défense du peuple européen prétendument menacé repose sur «des individus capables de se dépasser». Que cette idéologie mortifère ait conduit aux tragédies que l’on sait ne semble pas le troubler. Du Kurdistan irakien à Lausanne, il vit pour ce devoir, qu’il espère voir triompher dans un glorieux final.