En Suède, le fight club des hooligans

Le Temps

UNDERGROUND Pas de rounds, pas de gants. Du béton et du grillage en guise de ring. Depuis quelques mois, les combats clandestins ultra-violents du KOTS agitent les réseaux sociaux et les autorités. On vient s’y affronter de toute l’Europe, même de Suisse

CLÉMENT LE FOLL @lefollclement

Jesper*, Danois de 18 ans, et Marco*, Berlinois de 19 ans, se toisent, encerclés par des clôtures de chantier qui délimitent le ring. Le sol bétonné fait office de plancher. Les visages camouflés par des capuches ou des balaclavas, les dizaines de spectateurs dévisagent les deux combattants. Pendant huit minutes, ils vont s’échanger crochets, uppercuts et coups de pied. Au King of the Streets Fight Club (KOTS), ni gants, ni casques, ni rounds. L’orgie de violence s’achève lorsque l’un des deux adversaires est KO, ou sur décision de l’arbitre. Les figures juvéniles de Jesper et Marco sont vite inondées par le sang. Le torse nu de l’Allemand est recouvert d’une fine couche de la poussière qui parsème le béton. Le duel, remporté par le Danois, marque les esprits par sa violence. «Les arbitres auraient dû l’arrêter plus tôt, mais les deux ont voulu continuer», estime Brice*, entraîneur de plusieurs combattants de cette édition. Sur Instagram, Marco publie ensuite une photo avec son rival. Leurs visages tuméfiés traduisent la férocité du combat. «J’ai eu le nez cassé, deux phalanges cassées à la main droite, ainsi que le majeur fissuré», confie-t-il.

Communication professionnelle

Une dizaine de pugilats illégaux s’enchaînent ce 1er novembre dans cet entrepôt de Göteborg, en Suède. Des combattants de toute l’Europe se sont donné rendez-vous pour un remake grandeur nature du film Fight Club de David Fincher. «Le KOTS existe depuis 2013, mais sa popularité a augmenté depuis 2018, car les personnes impliquées relaient activement leurs évènements», détaille Robert Claus, spécialiste allemand du hooliganisme et des sports de combat. Derrière l’organisation, un obscur groupe appelé Hype Crew, proche de l’univers hooligan. Certains de ses membres (Anglais, Israéliens ou Suédois) font partie des «fighters». Difficile d’en savoir plus. Ils n’ont pas souhaité répondre à nos questions.

Bien qu’illégal, le KOTS affiche une présence en ligne quasi professionnelle: 90000 abonnés sur Instagram, 50 000 sur Facebook, des vidéos visionnées des centaines de milliers de fois sur YouTube et des sponsors comme la marque de sport de combat Askari Fighter. Le Hype Crew a même trouvé le moyen d’en tirer profit. Une plateforme payante permet de visionner les combats en direct et de parier sur le futur vainqueur. Le site internet du KOTS présente les combattants et les règles sommaires de leurs duels. Parmi lesquelles: 5 kilos de différence maximum entre opposants, interdiction de soumettre son adversaire (pratique classique en MMA) ou le fait que seul le vainqueur repart avec de l’argent. «Ils ont créé le mythe du sport de combat le plus difficile», analyse Robert Claus.

«Contrôler mon feu intérieur»

Ce professionnalisme ne se cantonne pas à la communication d’après Danius*, concurrent lituanien qui a participé à la dernière édition. «Ils t’hébergent dans un superbe hôtel, t’offrent le matériel, font tes bandes, viennent te chercher en bus. Il y a un médecin, des arbitres, c’est carré», illustre-t-il. Habitué des combats clandestins en Europe de l’Est, l’entraîneur Brice dépeint ces bagarres comme spectaculaires, mais moins violentes que la boxe: «Il y a beaucoup de sang, mais les séquelles sur le long terme sont moins grandes.» Difficile d’y croire à la vue des KO fréquents… Les participants interrogés ont découvert le KOTS via les réseaux sociaux. «C’est en regardant les vidéos que j’ai eu envie d’y participer», témoigne Marco, qui a ensuite contacté le Hype Crew via l’application de messagerie sécurisée Telegram. Un adversaire lui a ensuite été attribué. La démarche fut la même pour Danius, qui est venu à bout d’un hooligan du Rayo Vallecano début novembre. Pratiquant le MMA depuis trois ans, le Lituanien s’est imposé une préparation de deux mois. «La moitié du temps, je m’exerçais six jours par semaine: course le matin, boulot, puis séance intense d’une heure trente.» L’objectif de cet entraînement spartiate? Remettre en ordre sa vie émaillée de fêtes et d’alcool. «Je n’ai fait ça ni pour l’argent ni pour la gloire, mais pour contrôler mon feu intérieur», métaphore-t-il.

Au fil des mois, le KOTS s’affirme comme un rendez-vous pour hooligans des quatre coins de l’Europe. Brondby, Borussia Dortmund, Eintracht Francfort, Dinamo Zagreb, Hammarby, Ajax Amsterdam… Les gros bras supporters de ces clubs sont passés sur le béton du KOTS. «Cela traduit les modes de développement du hooliganisme: il mute vers un sport de combat à part entière qui s’éloigne des stades», constate le sociologue spécialiste du supportérisme Nicolas Hourcade.Pour la première fois, lors de la dernière édition, un Suisse et deux Français ont participé, dont deux au profil controversé. Le premier, Joseph*, se présente comme membre du SK Wallis, un groupe de hooligans composé de néonazis qui se développe en Valais, comme l’a montré cette semaine une enquête fouillée du quotidien Le Nouvelliste. Il n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Tatouage White Power et croix gammée

Tatouage White Power sur le cou, croix gammée sur le biceps, le second est un militant néonazi lillois, membre des hooligans de la LOSC Army et fondateur de la marque de sport de combat Pride France, prisée des milieux d’extrême droite. Un paradoxe pour une organisation se revendiquant apolitique. «Le schéma qui domine au KOTS est celui d’une masculinité violente et autoritaire, plus qu’un clivage gauche-droite. Entre autres, des réfugiés afghans et des néonazis européens ont déjà combattu les uns contre les autres», nuance Robert Claus, qui pointe derrière la participation de ces militants un problème plus profond: «Des jeunes passionnés d’arts martiaux regardent les publications du KOTS et ils peuvent en déduire que des tatouages de croix gammées sont tout à fait normaux…»

Underground dans l’âme, le KOTS change de lieu à chaque évènement. Il attire cependant la lumière. Lors de la dernière édition, des dizaines de policiers se sont postés devant le hangar où se déroulait le fight club, sans intervenir. Un laxisme qui a provoqué l’ire de Jesper Gunnarsson. Dans des propos rapportés par la chaîne suédoise TV4, le président de la fédération suédoise de MMA a indiqué avoir rapporté à la police ces combats clandestins, sans réponse. «C’est potentiellement très, très dangereux pour ceux qui y participent, dans le pire des cas, quelqu’un peut mourir», a-t-il conclu.

La participation de ressortissants français et suisses alerte également des autorités sans solutions face à des bagarres organisées hors de leur territoire. «Nous sommes au courant des évènements pareils. Mais comme ils sont organisés en Suède et dans d’autres pays comme la Russie, nous ne suivons pas particulièrement ce dossier», nous a indiqué Pascal Oberson, adjudant à la plateforme de coordination police-sport. Même son de cloche chez son homologue français Thibaut Delaunay, patron de la division nationale de lutte contre le hooliganisme. «Nous avons des remontées de terrain, mais c’est un phénomène qui ne concerne pas seulement les hooligans.» En attendant, les combattants interrogés nous ont indiqué leur volonté de revenir fouler le goudron du KOTS.

* Prénom d’emprunt.

Au King of the Streets Fight Club (KOTS), ni gants, ni casques, ni rounds. L’orgie de violence s’achève lorsque l’un des deux adversaires est KO ou sur décision de l’arbitre. (FACEBOOK.COM/KOTSFIGHTS)

««Ils t’hébergent dans un superbe hôtel, t’offrent le matériel, font tes bandes. Il y a un médecin, des arbitres, c’est carré»

DANIUS*, CONCURRENT LITUANIEN