On ne les entend guère en dehors du 1er Août, lorsqu’ils tentent – parfois avec succès – de s’emparer de la plaine du Grütli pour célébrer la fête nationale. Les extrémistes de droite suisses restent un groupe marginal, qui ne représente pas une grande menace, selon le rapport 2016 sur la sécurité du Service de renseignement de la Confédération (SRC).
Depuis quelques mois pourtant, manifestations et concerts attirent l’attention des médias. Le premier événement à avoir fait du bruit a réuni 5000 personnes à Unterwasser (SG) à l’occasion d’un concert, provoquant des réactions outrées dans l’ensemble du pays. Les semaines qui ont suivi ont été le théâtre d’autres réunions, un concert dans la région saint-galloise, puis une conférence à Saxon (VS). Le 14 janvier encore, un concert a réuni entre 100 et 150 personnes à Willisau (LU).
Qui sont ces groupes d’extrême droite en Suisse? Portrait non exhaustif d’un milieu très hétérogène.
Organisations de skins d’extrême droite
Les organisateurs du concert géant d’Unterwasser appartiennent à la mouvance skinhead internationale «Blood and Honour», fondée en 1987 en Grande-Bretagne. Le groupe est considéré par le SRC comme l’une des principales organisations dans le domaine de l’extrême droite violente en Suisse. Blood and Honour possède des sections dans de nombreux pays d’Europe. En Suisse, le groupe est implanté à Zurich, en Argovie, en Valais et dispose d’une section romande. Selon le groupe de lutte antifasciste Antifa, ses membres se présentent comme le «fer de lance de la lutte nationale contre une société multiculturelle» et souhaitent transmettre par la musique les valeurs nationales-socialistes à la jeunesse.
Les activités de Blood and Honour se limitent principalement à l’organisation de concerts. L’extrême droite est indissociable de sa scène musicale, à laquelle appartient par exemple le groupe Amok. Le chanteur est l’un des militants de Blood and Honour. Lui et ses musiciens ont été condamnés à de lourdes amendes pour des textes négationnistes, racistes, des appels à la violence ou encore pour port d’arme illégal.
Le groupe Hammerskins est également dans le viseur du SRC. Selon la plateforme d’informations financée par la Confédération rechtsextremismus.ch, Hammerskins, fondé en 1987 aux USA, adhère à l’idéologie «White Area for White People» («Un espace blanc pour les Hommes blancs»). La section suisse, fondée en 1990, a été la première d’Europe. Elle s’est surtout illustrée en 1995, en s’infiltrant dans la manifestation anti-Europe organisée par Blocher pour caillasser des militants de gauche. En 2000, le groupe a également organisé un mégaévénement réunissant près de 1200 personnalités du milieu. Il est resté plus calme au cours des dernières années, préférant organiser de petits événements – plus discrets, donc plus faciles à cacher aux autorités.
Partis politiques
L’extrême droite suisse possède aussi des partis politiques, dont le Partei National Orientierter Schweizer (PNOS). Le PNOS représente en quelque sorte la force politique de Blood and Honour. Il a d’ailleurs été fondé par deux de ses membres, Sacha Kunz et Jonas Gysin. Selon le spécialiste de l’extrême droite et journaliste Hans Stutz, le premier programme du PNOS a été inspiré par le parti nazi et a conduit à une condamnation pour infraction à la norme antiraciste un an plus tard.
Alors que Blood and Honour semble s’être relativement assagi, le parti paraît relativement actif. Ce sont les membres du PNOS qui organisent chaque année le grand rassemblement d’extrême droite sur la plaine du Grütli, à l’occasion du 1er Août. Le parti est à l’origine du concert à Kaltbrunn (SG), qui a eu lieu une semaine après celui d’Unterwasser. Le PNOS fêtait alors la création de cinq nouvelles sections en Suisse orientale. Il est également l’organisateur du concert du 14 janvier à Willisau. Celui-ci avait pour but de lever des fonds destinés à la construction d’une maison de Parti, dont l’emplacement reste inconnu.
Le 5 novembre, son pendant romand, le Parti Nationaliste Suisse (PNS), a également organisé à Saxon (VS) une «Conférence sur le nationalisme», avec pour invités le Français Daniel Conversano, antisémite et fervent défenseur d’une «Europe blanche», de même que Sébastien «Magnificat» de Boëldieu, membre de l’organisation italienne CasaPound, qui se surnomment eux-mêmes les «fascistes du IIIe millénaire». Le PNS est dirigé par Philippe Brennenstuhl, condamné à 3 mois de prison ferme pour discrimination raciale et fervent admirateur d’Adolf Hitler.
Les effectifs réels du PNOS et du PNS sont difficiles à évaluer. La présidence du PNOS avance le chiffre de 400 membres, alors que des experts du milieu parlent d’une centaine, guère plus. Selon Hans Stutz, le parti est mal en point, tant en Suisse alémanique qu’en Suisse romande. «La base du PNOS en Suisse alémanique n’existe pratiquement plus. Néanmoins, le petit parti représente toujours le plus important groupe d’extrême droite, de même que son pendant romand le PNS. Si son président, Philippe Brennenstuhl, est très actif, très peu d’autres membres le sont.»
Le terreau genevois
Outre le PNS, la Suisse romande compte également le parti Résistance Helvétique, présent principalement dans les cantons de Genève, du Valais et de Vaud. Résistance Helvétique possède un programme de parti détaillé, inspiré par les idées des partis fascistes des années 1920-1930. Le parti est très actif sur les réseaux sociaux et a organisé ces derniers mois plusieurs conférences. Il tient également régulièrement des stands sur les marchés.
Genève a en outre longtemps constitué un noyau de l’extrême droite romande, largement inspiré par les mouvements français du même acabit. La Cité de Calvin abrite par exemple depuis 2005 les Jeunes identitaires genevois, pendant suisse des antimigratoires et islamophobes du Bloc Identitaire. Fondé en 2010, le groupe Non Conforme, proche de Casa Pound, des Hammerskins, des Jeunesses Nationalistes françaises ou encore du mouvement «Egalité et Réconciliation» d’Alain Soral, œuvre aussi à Genève. Depuis 2011 environ, ces milieux se sont calmés et ne sont guère actifs, voire carrément en voie de disparition.
«La base du PNOS en Suisse alémanique n’existe pratiquement plus»
Hans Stutz Journaliste, spécialiste de l’extrême droite
Une scène qui rapetisse, mais sait pourtant faire parler d’elle
L’extrême droite rêve de s’étendre. Elle prétend d’ailleurs toujours être en pleine expansion. Le PNOS s’est réjoui de la médiatisation de son concert d’octobre: «Merci beaucoup pour le coup de pub gratuit!, avait raillé le parti sur son site. Nous avons eu ces derniers jours un énorme afflux de nouveaux membres et de personnes intéressées.»
Est-ce vrai? Probablement pas, répondent les observateurs du milieu. «Le concert à Unterwasser, qui a été le plus gros événement de la scène néonazie organisé en Suisse occidentale, a suscité – à juste titre – une très grande attention de la part des médias, commente Hans Stutz, journaliste et spécialiste de l’extrême droite suisse. Mais il ne témoigne pas d’une popularité grandissante de la scène de l’extrême droite en Suisse. Le débat qui a suivi portait d’ailleurs davantage sur la question «comment empêcher ça?» plutôt que sur une éventuelle radicalisation de la société.»
Selon le spécialiste en extrémisme Samuel Althof, le PNOS est politiquement nul et le restera. «Le noyau dur du PNOS est probablement limité à 50-60 personnes, a-t-il déclaré à la radio alémanique. En dix ans d’existence, il ne compte pas plus d’un représentant, autant au niveau cantonal, communal que dans le parlement d’un village. Il n’a donc aucun intérêt politique.»
L’expert a les chiffres de son côté: lors des élections au Conseil national de 2015, les quatre candidats du PNS ont obtenu 15 000 voix (0,46%). Le PNOS a pour sa part réussi à obtenir des sièges au niveau communal, notamment de 2003 à 2008 à Langenthal (BE) et en 2005 à Günsberg (SO).
Dans son rapport, le SRC constate également que l’extrême droite peine à s’organiser. Toutes les tentatives d’organiser en Suisse une manifestation sous le nom de Pegida (Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident) ont en outre échoué. «On peut s’attendre par conséquent à ce que les milieux de l’extrême droite n’aillent pas au-delà de quelques actions violentes ne répondant à aucune stratégie, et qu’ils continuent à mener une existence isolée en marge du public», écrit le Service de renseignement, qui prévient toutefois: isolés, les membres de l’extrême droite peuvent représenter un danger, d’autant plus qu’une partie d’entre eux sont «de toute évidence armés et qu’ils peuvent, le cas échéant, faire usage des armes en leur possession ( ) Leur potentiel de violence persiste néanmoins et peut se manifester spontanément en fonction de la situation.» Le SRC entend par là une détérioration de la situation de l’immigration, ou encore une hausse des attentats en Europe.
C’est aussi l’avis d’Hans Stutz: «Ma préoccupation augmente concernant la présence d’extrémistes de droite, en particulier en Suisse romande, où la «fachosphère» est très active, du blog «Les Observateurs» d’Uli Windisch au PNS.» L.Mt