Crânes rasés, bras droits tendus, riffs de guitares agressifs et chansons faisant ouvertement l’apologie du Troisième Reich: Unterwasser, une bourgade d’habitude calme et paisible de la campagne saint-galloise, s’est muée samedi soir en véritable capitale de la scène musicale d’extrême-droite européenne. «Je n’ai pas connaissance d’une soirée de concerts de groupes néonazis de cette ampleur en Europe de l’Ouest», affirme Hans Stutz, spécialiste des mouvements d’extrême-droite, qui s’exprime dans les colonnes de plusieurs quotidiens helvétiques ce mardi.
Hans Stutz dénonce le manque d’initiative de la police, qui n’a pas jugé bon d’entrer dans la salle de concert pour contrôler ce qu’il se passait. Une attitude également très critiquée par les principaux titres de la presse suisse. «La police dit ne pas être entrée dans la salle au motif qu’il s’agissait d’un événement privé et ne commente pas les ‘orientations politiques’ des organisateurs. Or on ne parle pas d’une soirée de soutien à un parti, mais bien de l’un des plus grands rassemblements de sympathisants d’extrême droite jamais vus en Suisse», écrit ainsi l’éditorialiste du Temps.
Le Tages-Anzeiger cite de son côté le professeur de droit Marc Forster ainsi que la jurisprudence du Tribunal fédéral, selon lesquels des propos racistes tenus au cours de grands événements privés tombent également sous le coup de la norme pénale antiraciste.
Une carte blanche?
La Tribune de Genève s’inquiète pour sa part de la facilité déconcertante avec laquelle les organisateurs sont parvenus à déjouer les contrôles de sécurité. «Ces événements peuvent donner l’impression qu’une carte blanche a été accordée aux rassemblements d’extrême droite de l’Europe entière», estime le quotidien genevois.
Une inquiétude partagée par le Tages-Anzeiger et le Bund: «Si les autorités et les propriétaires de salles continuent d’agir de manière aussi naïve, le risque est grand que la Suisse devienne encore plus populaire aux yeux des néo-nazis. L’exemple d’Unterwasser pourrait leur donner le sentiment que la Suisse est une terre propice à leurs rassemblements», écrivent les deux quotidiens dans un éditorial commun.
La Suisse est considérée depuis longtemps par la scène d’extrême-droite comme un havre sûr pour l’organisation de concerts, rappelle pour sa part la Luzerner Zeitung. «Leurs partisans peuvent s’y agiter en toute tranquillité, il leur suffit de déclarer que l’événement est privé. Cela doit changer!»
«Il n’est pas concevable que des militants d’extrême-droite se rassemblent en Suisse parce qu’il est plus facile d’y organiser des événements»
Chantal Galladé, députée socialiste
L’affaire remonte à Berne
Après avoir enflammé les réseaux sociaux, ce concert suscite désormais l’ire de nombreux politiciens suisses. «Il n’est pas concevable que des militants d’extrême-droite se rassemblent en Suisse parce qu’il est plus facile d’y organiser des événements», souligne ainsi la députée socialiste Chantal Galladé, interrogée par le Bund.
Le quotidien bernois nous apprend que la commission de sécurité du Conseil national (Chambre basse) pourrait se saisir de l’affaire et demander des comptes à Markus Seiler, le chef du Service de renseignement de la Confédération (SRC). Le SRC affirme de son côté qu’il était au courant de la manifestation et qu’il a informé en ce sens les polices cantonales, dont celle de Saint-Gall.
Cet événement aura également des suites judiciaires. La Fondation contre le racisme et l’antisémitisme (GRA) a porté plainte contre les groupes suisse Amok et allemands Stahlgewitter, Confident of Victory, Exzess et Frontalkraft, ainsi que contre les organisateurs de la manifestation, a indiqué mardi la GRA. La fondation estime qu’il y a eu violation de la norme antiraciste (article 261 bis du Code pénal).
Les autorités de la commune saint-galloise entendent elles aussi examiner si les paroles des chansons jouées samedi soir violent la norme antiraciste. Le maire d’Unterwasser, Rolf Züllig, vise également les organisateurs du concert, estimant qu’ils ont obtenu une autorisation en donnant de fausses informations aux autorités.
swissinfo.ch