YVERDON A huit heures d’intervalle, quelque 70 « antiracistes » et 130 skinheads ont bravé, samedi, l’interdiction de manifester dans les rues du chef-lieu vaudois. Gros déploiement policier et aucun incident.
«Ben on est venu dire que le racisme, le fric, les médias, la société, c’est de la merde », explique Yohan * en se roulant un joint. Leur discours est plus ou moins décousu. Leurs habits aussi. Sous le regard perplexe des badauds, une septantaine de personnes ont manifesté pacifiquement, samedi après-midi, sur la place Pestalozzi, à Yverdon-les-Bains. Malgré l’interdiction municipale de tout rassemblement ce jour-là (24 heures du 27 juin), ils ont pu se rendre au pied du château, vers 14 h 30. Ils y ont distribué des tracts plaidant « pour une société métissée et égalitaire » et « pour le rejet du racisme et du fascisme ». Le tout, sous haute surveillance policière. A l’enseigne de slogans inspirés ? « La vraie violence, c’est le racisme, le sexisme et le capitalisme », ou plus sobre: « Non au racisme » ?, la troupe hétéroclite (punk, anar‘, baba, hiphop …) a ensuite pique-niqué au jardin Japonais avant de se disperser vers les 16 h. Bière à la main, quelques jeunes rares crânes rasés se sont montrés dans les parages. Mais aucune provocation. Bien visible, en force, la police était sur les dents. Les vrais skins, ont débarqué en force, en soirée (lire encadré).
Quinze interpellations
« Dans ce genre de manif, on ne sait jamais combien de personnes peuvent débarquer et dans quel état d’esprit », commente le capitaine de gendarmerie Jean-Claude Berdoz, chef du secteur nord. La seule tension de la journée a été enregistrée à l’arrivée en gare du train de Lausanne. Selon le personnel roulant qui donna l’alarme, une vingtaine de skinheads seraient à l’intérieur, refusant de payer leurs billets. Ils seront attendus par les gendarmes et les hommes du détachement
d’action rapide et de dissuasion (DARD). Pas de skin en vue à la descente du train, mais des « antiracistes altermondialistes » comme se définit l’un deux. Quinze sont interpellés pour contrôle d’identité. Treize feront l’objet d’une dénonciation par la police ferroviaire, pour avoir effectué une course sans titre de transport. Certains viennent de Chavornay, d’autres de l’arc lémanique ou encore du centre autogéré de Lausanne. Une chaîne humaine tente de barrer la route au fourgon de police. Le « panier à salade » contourne la difficulté par un autre chemin. Fin de l’incident …
Manifestations interdites
Par tracts ou via internet, plusieurs mouvements avaient annoncé vouloir manifester à Yverdon samedi dernier, en réaction au drame du jeune Michael, racketté et poignardé à mort, en gare d’Yverdon le 1 er juin. Des sympathisants identitaires du mouvement « avant-garde » avaient alors annoncé un regroupement pour le 28 juin à la mémoire de « leur camarade Michael ». Affirmée par dimanche. ch, l’appartenance du jeune Chaux-de-Fonnier à un groupe néo-patriote avait alimenté la polémique. Les parents de la victime ont d’ailleurs déposé plaine contre le titre pour diffamation. « Avant-garde » a finalement renoncé à sa manifestation, faute d’avoir obtenu l’accord des parents de Michael. ACOR SOS racisme avait fait de même. Craignant des dérapages entre ces courants opposés, la Municipalité avait finalement interdit toute manifestation. Le petit groupe a pu néanmoins se faire entendre: plus d’une demi-douzaine de médias ont suivi leur parade. é
* Prénom d’emprunt
CHRISTIAN AEBI
Un groupe d’altermondialistes voyageaient en train sans billet. Quinze d’entre eux ont été interpellés et treize seront été dénoncés. L’équipe s’est alors assise, formant une chaîne humaine, pour tenter de barrer la route au fourgon de police. Flash Press
En mémoire à Michael, 130 skinheads ont défilé pacifiquement à Yverdon samedi soir. Pas d’incitation directe à la haine raciale ni à la violence, et encore moins de bras tendus dans le plaidoyer de dix minutes qui suivit. Les skins sont ensuite repartis dans le calme.
Marche souvenir de 130 skins pour Michael
DANS LE CALME Si la police a déployé l’artillerie lourde, la manifestation s’est déroulée sans problème.
Portant flambeaux, un drapeau suisse et une grande banderole barrée d’un « Pour Michael », 130 skinheads, romands, alémaniques et français, ont eux aussi défilé pacifiquement à Yverdon samedi, mais en soirée. A l’appel du groupe Hammerskins, commente la police, ils sont arrivés par voitures en Chamard, vers 20 h. Ils ont été autorisés à se rendre à pied de la place des Sports à la gare, sous haute escorte policière. Les détachements de maintien de l’ordre étaient intervenus l’après-midi en tenues légères de charge. Pour les skins, ils ont revêtu la panoplie de « Robocop », mais casque à la ceinture. Une fois à la gare, vers 21 h 30, les manifestants ont allumé des bougies et se sont recueillis à la mémoire de Michael. Les skins ont revendiqué qu’il était un des leurs. « Je ne le connaissais pas personnellement, mais c’était l’un des nôtres », a lancé un des leaders avant de dénoncer que « quelque chose tourne faux dans notre société. On tue un jeune de 18 ans pour son walkman. » Pas d’incitation directe à la haine raciale ni à la violence, et encore moins de bras tendus dans le plaidoyer de dix minutes qui suivit. Mais des allusions sans équivoque: « N’a-ton pas le droit d’être fier d’être Européen, Suisse et blanc dans ce pays ? Michael en était fier, lui. » L’orateur a encore invité ses troupes à se retrouver au même endroit l’année prochaine. Applaudissements de l’auditoire, mais aussi de quelques clients du Buffet de la Gare, assistant à la scène. A 21 h 50, le cortège repart silencieusement à la place des Sports. Les flambeaux s’évanouissent dans la nuit, Yverdon s’endort soulagée, la nuit sera calme.