Tribune de Genève. Le trublion peut-il proférer impunément des propos homophobes en Suisse? Son procès a eu lieu mercredi à Lausanne. Il risque trois mois de prison.
Alain Bonnet, dit Soral, connaît bien les tribunaux français: il a déjà été condamné au moins 22 fois depuis 2008 – des amendes principalement – pour antisémitisme ou encore incitation à la haine. En Suisse, c’était une première mercredi au Palais de justice de Montbenon, à Lausanne. Le pamphlétaire s’y est présenté pour des propos homophobes tenus contre une journaliste de «24 heures» et de la «Tribune de Genève».
L’agitateur qui jure avoir été journaliste sort l’artillerie lourde lorsqu’il n’aime pas un article de presse. À la suite d’une publication de notre consœur en 2021, il l’avait traitée de «grosse lesbienne», de «militante queer», qu’il traduit comme «désaxée», dans une vidéo publiée sur son site internet Égalité&Réconciliation. Juste au-dessous figure une photo de la journaliste visée, qui fait l’objet de nombreux commentaires odieux, publiés sans aucune modération. Cette mise en scène sordide était toujours en ligne le jour du procès.
Trop virulent?
Il y avait foule dans la grande salle du palais pour suivre les débats. Deux policiers, au cas où. Une dizaine de journalistes. Et une cinquantaine de curieux, dont une bonne poignée venue soutenir leur leader qui est domicilié à Lausanne depuis 2019. Ce dernier a tenté de corriger le tir devant la Cour. Il avoue «avoir été trop virulent. À l’époque, j’étais plus excédé et plus fragile que d’habitude», évoquant des raisons de santé. Suite à la demande insistante de la présidente Malika Turki, il s’est engagé «sur l’honneur» à supprimer la vidéo du site. À vérifier.
L’accusé dit qu’il aurait dû agir «de manière plus littéraire, plus intellectuelle». Il s’adresse des reproches «sur la forme, mais pas sur le fond». Selon lui, la militante queer a bien utilisé sa carte de presse pour l’attaquer personnellement. Elle fait partie d’une longue croisade LGBT contre la «majorité» des hétérosexuels qu’il défend. Cet acharnement aurait commencé à Genève, en 2016, lors d’un défilé d’extrême gauche qui dénonçait la tenue d’une conférence d’Alain Soral.
La victime Soral
Son avocat Pascal Junod affirme qu’il faut replacer les propos homophobes dans leur contexte. Alain Soral aurait réagi à un article mensonger écrit par une militante queer qui l’attaque. Les propos de son client sont ainsi durs, mais font partie du débat politique. «Cette affaire n’aurait jamais dû se trouver devant un tribunal. Que faisons-nous dans cette salle, d’ailleurs? À mon avis, c’est un procès d’inquisition, on veut la tête de mon client», a-t-il dénoncé.
Une défense hors sujet, selon Etienne Campiche. L’avocat de la journaliste souligne que les excuses avancées par l’accusé sont de «pseudo-excuses» et donc que la proposition de transiger de la partie adverse n’est pas crédible. Et de développer l’habitude d’Alain Soral de s’attaquer à la personne, et non aux idées, lorsqu’il est contrarié. «Pour lui, l’autre est une menace, quelqu’un de méprisable. Or, la paix publique ne se conçoit que dans la tolérance et le respect de l’autre», philosophe le défenseur.
Ébranlée
La plaidoirie d’Etienne Campiche s’est appuyée sur l’esprit des témoins qui se sont présentés à la barre. Le rédacteur en chef de la «Tribune de Genève», Frédéric Julliard, est venu saluer le travail de sa collaboratrice, qui fait du journalisme, pas du militantisme. Le député genevois Yves de Matteis a évoqué les effets dévastateurs de la vidéo sur la victime. Elle aurait été fortement ébranlée dans les semaines qui ont suivi sa diffusion sur internet.
Le procureur général du canton de Vaud Eric Cottier a été encore plus sévère. Il a souligné l’arrogance, le mépris, la haine véhiculée par les propos. Le magistrat a rappelé que la «Suisse n’est pas la Soralie. C’est un pays qui respecte la démocratie, les lois, les individus.» Il a demandé à la Cour une condamnation exemplaire pour défendre la paix publique.
Le Tribunal rendra son verdict vendredi. Il doit décider s’il confirme l’ordonnance pénale de condamnation à trois mois de prison ferme, contre laquelle Alain Soral a fait opposition et qui a provoqué la tenue de ce procès.
Eric Cottier s’en va
L’audience a duré toute la journée, jusqu’à la tombée de la nuit. À l’issue des débats, le moment était symbolique pour le procureur Cottier, qui partira à la retraite en 2023 après quatre décennies d’activité au service de la justice. À l’ouverture du procès, il nous confessait ne ressentir aucune émotion particulière. Tout comme après avoir rendu la parole. Jusqu’au bout, l’homme de loi aura assumé sa tâche avec la même placidité.